La clinique du trauma est un des apports essentiels de Sandor Ferenczi, très largement corroboré par les données cliniques actuelles.
Devant un évènement traumatique, le moi est débordé, dit Ferenczi. Il ne peut assimiler la quantité d’énergie émotionnelle pour la perlaborer, comme il le fait d’ordinaire. Face à cette incapacité, il développe un mécanisme d’auto-clivage. Ferenczi est convaincu qu’il faut aider le patient à revivre le trauma pour permettre à son psychisme de « digérer l’évènement», de l’assimiler pour parvenir ensuite à régler la souffrance et continuer à vivre.
Il découvre que le mécanisme mis en place par le moi consiste à mettre de côté, à garder l’évènement traumatique en mémoire. Le moi se scinde : l’une des parties continue à vivre, l’autre partie est comme morte, figée sur le souvenir. Ainsi il n’y a plus de moi global, mais un moi partiel avec une partie figée en souffrance.
Revivre la souffrance est bien sûr ce que cherchent à éviter les sujets, les symptômes devenant les refuges nécessaires à cet évitement. Revivre n’est pas suffisant, et d’ailleurs ne serait pas supportable non plus.
Ce qui amène le processus psychique à reprendre mouvement est le fait de revivre l’expérience du trauma en milieu sécurisant dans le cadre thérapeutique. Ainsi rassuré sur ses bases narcissiques, le psychisme du sujet peut accepter cette remémoration, qui va le soulager, et lui permettre de passer à autre chose.
Dans l’échange thérapeutique, l’émotion peut accompagner la remémoration, grâce « au tact, à l’indulgence, à la prévenance, à la souplesse de l’analyste. » dit Ferenczi. Cette attitude permet au sujet de dépasser ce qui est parfois vécu comme presque pire que l’évènement traumatique vécu : le silence (toujours mortifère) ou l’incompréhension des adultes, l’indifférence apparente de l’entourage , toujours vécues comme une absence de considération et de protection.
« Le comportement des adultes à l’égard de l’enfant qui subit le traumatisme fait partie du mode d’action psychique du traumatisme. » dit Ferenczi.
Au cabinet de l’analyste, il y a écoute, et bienveillance, ce qui offre une possibilité de crédibilité, et de soulagement par le partage. On peut se confier, le trauma est reconnu, considéré.
Ainsi, dans la relation transférentielle, le revécu du traumatisme conduit à sa résolution.
Il existe toujours un doute sur la véracité ou sur l’importance de son vécu chez le sujet victime de traumatisme : l’entourage ayant refusé même inconsciemment la considération et l’écoute de ce vécu, il est frappé d’inconsistance, il est en partie ou complètement refoulé. L’impact est négligé. La négation englobe, plus que le vécu traumatique lui-même, beaucoup d’autres éléments, notamment corporels. Par exemple, une insensibilité partielle ou totale peut s’ensuivre sur la partie du corps concernée par le trauma. Le psychisme ne répond plus donc le corps prend la relève, organisant un symptôme d’ordre hystérique.
La conséquence du traumatisme est l’angoisse : il est impossible de s’adapter au trauma, ce qui induit un sentiment d’incapacité source d’un stress immense et d’une souffrance indicible. Tout être vivant a pour réflexe l’autodéfense en cas d’agression. C’est la première réaction. Mais le trauma trop intense, insupportable, impensable, paralyse toute velléité de réaction. Le sujet ne peut avoir recours à ses forces vitales, à son organisation psychique normale. Il s’abandonne lui-même. Il laisse tomber ses capacités supérieures d’adaptation ne pouvant pas à ce moment là accepter de négocier avec ce qui lui arrive. Il plonge alors dans ses forces primitives, profondes, pour rester en vie, simplement, fondamentalement : sous l’effet de la peur intense, les actions inconscientes du système nerveux autonome sont très ralenties. Pour continuer à vivre, il faut alors se concentrer sur sa respiration, pour ne pas étouffer, et aussi s’assurer que son cœur bat, en faire une action consciente et volontaire, pour être bien certain de vivre encore. C’est une sorte d’adaptation interne, qui remplace l’adaptation interactive avec l’extérieur. Le système vital se met en « veille sanitaire », ne pouvant compter sur rien d’autre que lui. L’instauration de cette veille implique la possibilité de la mort, comme résolution parfaite de la souffrance. Rien ne s’y opposerait, les forces vives et agressives étant anesthésiées. Ce serait un soulagement.
Ayant vécu cela, par la suite, tout ce qui peut éviter au sujet de revivre cette souffrance est employé. D’abord la fuite, le retrait en soi, l’évitement, la négation. Ainsi les sources de souffrance potentielle sont diminuées, puisque le contact avec l’extérieur est coupé. Cela entraine des formes de vie où il existe deux « moi » : un moi qui agit en apparence de façon parfaitement normale et intégrée ; un autre moi « qui ne veut plus rien savoir de la vie » dit Ferenczi.
Cette dissociation est très fréquente.
Puis l’action auto-destructrice vécue comme un meilleur exutoire que l’inaction totale. L’auto-destruction, en tant que facteur délivrant de l’angoisse, sera préférée à la souffrance muette, dit Ferenczi.
L’autodestruction comme soupape de soulagement de l’angoisse.
La remémoration nécessaire a lieu dans les rêves et dans les souvenirs émotionnels émergeant en séance analytique dans le cadre sécurisant de la relation thérapeutique.
Pour Ferenczi, le rêve favorise le retour des impressions traumatiques qui veulent revenir à la surface pour être résolues.
Certains rêves délivrent le message sous forme de sensations pénibles au réveil, de douleurs physiques, d’émotions extrêmement désagréables à vivre. D’autres ont un contenu hautement symbolique, indiquant par là que le psychisme fait son travail de perlaboration.
De même, les souvenirs racontés en séances sont de deux sortes : soit ils sont des souvenirs de perceptions, d’émotions, vagues et diffus, sans accroche sur des faits réels. Soit ils sont des souvenirs de faits, sans aucune émotion rattachée.
Le travail analytique consiste à réunir ces deux aspects du vécu. A raccorder autrement dit les faits et les émotions. A retrouver son unité psychique, son assise et la libre circulation de son énergie.
Ainsi dans la clinique du trauma, la question du lien entre le psychique et le physique est centrale. « Le corps pense » dit Ferenczi.
Et c’est par le corps que peut se décrypter l’évènement en associant l’émotion qui lui est reliée, afin que le tout soit intégré et n’engendre plus la fuite et la dissociation.
C’est par le travail psychique et émotionnel que le système nerveux et le système psychique peuvent renouer des relations. Que le corps peut accepter de revivre ses émotions. Donnant ainsi au sujet l’impression de renaitre, de se retrouver, de se rencontrer, de s’incarner.
Source : Sandor Ferenczi : le traumatisme. Petite Bibliothèque Payot.
Sandor Ferenczi, psychanalyste hongrois, 1873-1933, disciple de S.Freud.