Nous avons l’habitude d’appréhender les faits physiques, observables de l’extérieur, phénomènes de la nature, personnes, objets, situations, évènements. Cette connaissance des choses ne se réduit pas à une simple réception par nos sens. Tout un ensemble de représentations se met en place, aussitôt qu’un fait extérieur est perçu, dû à notre expérience et à nos connaissances. Nous créons des faits psychiques à partir de nos observations du monde externe. Je vois ces feuilles de lierre, certaines d’un vert foncé mat, d’autres plus petites, brillantes, et vert tendre. Ce fait physique observé par mes sens, fait l’objet en moi de représentations, d’émotions et de sentiments. C’est une agréable sensation. Je sais qu’en cette saison s’épanouit de nouveau la nature, je ressens le plaisir lié à ce renouveau. La connaissance du monde passe par notre filtre psychique. Cependant, nous avons moins tendance à considérer les faits psychiques directement, comme des faits observables, au même titre que les réalités matérielles qui nous entourent. Nous les pensons inférieurs aux faits dits ‘objectifs’, les mettons en doute, ou ne les connaissant pas bien, nous les définissons mal. Quand nous qualifions une information de ‘subjective’ elle nous apparait de mauvaise qualité. Comme si la subjectivité s’opposait à l’objectivité.
Un fait psychique est constitué des pensées, émotions, représentations d’un sujet. Il est immatériel. Il est important je pense de considérer que le fait psychique est un fait discernable, observable, comme un objet extérieur et matériel peut l’être. Et que toute information qui nous parvient se transforme en fait psychique.
La vie intérieure d’un sujet est protégée. Chacun a en lui un monde intérieur secret auquel nul autre n’a accès. Ceci entraine un sentiment de solitude et la sensation d’être différent des ‘autres’, (le moi, sa frontière et, à l’extérieur de cette limite, tous les autres ), qui font partie des expériences et vécus normaux de tout être humain. En effet, nous ne savons pas ce que vivent les autres à l’intérieur, ne connaissons que nos propres vécus internes.
Cependant, nous apprenons toute notre vie, à observer, à discerner la vie psychique d’autrui, à partir de ce qu’il nous en montre ou nous en dit. Face à une personne ressentant une émotion, nous voyons des signes parfois clairement extériorisés: larmes, tremblements des lèvres, ou yeux qui pétillent, rires, et toute autre manifestation. Nous l’écoutons nous dire sa souffrance, ou sa joie. Ce sont des faits observables de l’extérieur. Dans le même temps, nous avons une représentation précise, issue de notre expérience, des signes perçus qui nous conduisent à en déduire quel type d’émotion est vécu par la personne. Et il est même possible que nous ressentions nous-mêmes une émotion, reliée à ce que nous observons. Nous transformons le fait observé en fait psychique interne. Parfois, sans qu’aucun signe extérieur ne soit visible, ou à peine perceptible, nous éprouvons une sensation face à ce qui émane de la personne : une tension, une colère sourde, un malaise, une intention particulière. Ceci est un fait non observable, mais ressenti intuitivement. L’influence émotionnelle entre les sujets explique l’existence de cette connaissance. Autrement dit, la connaissance du fait psychique émanant de l’autre a plusieurs entrées: d’une part les signes, parfois explicites, parfois très légers et inconsciemment perçus, d’autre part la sensation émotionnelle liée à cette perception. La représentation mentale issue de cette perception nous permet de décoder les signes perçus, de les comprendre, et offre la possibilité d’entrer en communication avec cet autre ‘moi’.
A côté de ces faits psychiques observables, ou intuitivement ressentis chez autrui, existe la connaissance des faits psychiques internes par le sujet lui-même. Il semble que ce cas soit particulier, puisque le sujet et l’objet paraissent être les mêmes. Or, il n’en est rien, car une distance s’opère entre le sujet observateur et le fait psychique intérieur observé. C’est la conscience de soi. Elle conduit à se dire: je sais que je vis cela. Je sais que je suis en train d’observer ce lierre sur mon balcon, je sais que j’aime regarder la lumière du matin qui s’y dépose, cela me procure une douce émotion, je sais que j’aime voir le printemps s’annoncer à de petits signes de plus en plus tangibles.
Chaque fait psychique se distribue à de multiples niveaux de conscience.
‘Certains faits psychiques (sensations, sentiments, pensées) provoquent d’autres faits psychiques (actes de connaissance, images, représentations) qui constituent l’affirmation de la réalité des premiers.’ (1)
Nous construisons notre pensée à partir de nos pensées: Penser que l’on est en train de penser demande une mise à distance entre le sujet que nous sommes à l’instant T, et ses éprouvés, et la production de pensée qui s’opère au même instant.
.Perceptions du monde extérieur et actions sont doublées dans l’espace psychique par les représentations, constructions théoriques, symbolisations: on ne peut pas percevoir une réalité externe sans aussitôt la brasser psychiquement dans le mouvement de nos représentations, émotions, sensations, créant ainsi de nouveaux faits psychiques, complexes et variés. L’homme ‘est un être qui double le monde extérieur d’un monde intrapsychique qu’il modèle à sa guise'(2).
Le fait psychique est une réalité parfaitement observable par le sujet lui-même. C’est sur cette capacité que sont fondées les méthodes de psychothérapie.
En augmentant sa connaissance de ses propres contenus psychiques, de ses pensées, de ses émotions, de ses sensations, de ses représentations du monde, des autres, de soi, le sujet prend conscience de son unité mais aussi de sa diversité. Son monde interne est multiple, mouvant, aléatoire, constitué de faits psychiques très différents, d’une multiplicité d’activités. Chaque activité psychique qui le constitue peut prendre connaissance des autres, ‘elle ne pourra les percevoir qu’en dehors d’elle-même, à la façon dont nous percevons les objets extérieurs’(*). Ainsi apprenant à se connaitre lui-même comme s’il s’observait de l’extérieur, il sera apte à mieux comprendre certains faits psychiques extérieurs à lui. Conscient que l’autre a aussi ses réalités psychiques, constituées d’un grand nombre d’activités et de représentations.
(1) P.Souriau : La perception des faits psychiques. In: L’année psychologique. 1906 vol. 13. pp. 51-66
(2)Roger Perron : penser, plaisir de vivre, souffrance à vivre, Editions Inpress 2020